David Schulz

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David Schulz

L’Air des Sens
Vincent Betsstraat 12
3440 Zoutleeuw
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Interview

S’alimenter est le sommet de la civilisation

David Schulz est un des nouveaux candidats Mastercooks et constitue une sorte d’électron libre au sein de l’association. Autodidacte des fourneaux, il a été dans une vie précédente philosophe, musicien et psychologue. Il n’est pas bridé par une formation et ne considère cela en aucune manière comme un handicap. Cela lui donne un regard ouvert sur la création de ses plats, au sein desquels l’amour de la nature, les saisons et la stimulation de tous les sens sont mis en œuvre de manière sublime.

Pourquoi êtes-vous devenu cuisinier en fait ?   

David Schulz : “Pour l’amour de la cuisine. On peut considérer l’alimentation comme un besoin primaire mais également comme une sorte d’évolution. A un moment, il ne s’agit plus seulement d’une fonction de base mais bien de quelque chose de gastronomique.  Et qui entraine beaucoup plus de choses dans son sillage. Je vois le fait de manger comme une forme d’humanité. Lorsqu’on se retrouve à table avec des gens d’origines différentes  il est possible de tisser sur l’assiette un fil rouge qui fait le lien avec toutes les personnalités. C’est là pour moi le sommet de la civilisation : le dialogue, le partage des sentiments, le compréhension mutuelle, même si on n’est pas toujours d’accord. Tout cela peut se dérouler à table, tant que cela se fait dans la dignité. C’est cela qui fait avancer les choses. Voilà pourquoi je pense que les sens sont indispensables. Je vois l’Air de Sens comme un havre de paix où l’on peut arriver à la quiétude et d’où l’on peut écarter toutes les mauvaises ondes extérieures. Et où l’on peut atteindre une neutralité sensorielle à partir de laquelle on peut se concentrer sur ce qui nous arrive. C’est toujours ce que j’ai eu derrière la tête dès que j’ai commencé à cuisiner. “

Vous n’avez absolument aucune formation culinaire?

David Schulz : “J’ai travaillé un petit temps au Clos St. Denis. Il était très intéressant d’apprendre les techniques et la discipline.  Mais après cela, j’ai eu besoin de quelques mois pour me défaire du style qui y était pratiqué. Son grand modèle était Alain Ducasse et je voyais des plats qui en étaient très inspirés.  Mais ceci ne me passionnait pas. Quel que soit le respect que j’éprouve pour cette cuisine. Ceci a probablement ralenti mon évolution personnelle mais jai également appris énormément via l’expérimentation personnelle. Je cuisine avc mes tripes et ceci correspond à ma personnalité. Je suis tout le temps en train de réfléchir à ce que je peux faire de mieux sur base d’un ingrédient. Prenez le cas du foie d’oie. J’ai longtemps chipoté sur ce que je pourrais en faire.  Le poêler ne m’intéresse pas et en faire un pâté encore moins. Le râper est mes yeux le meilleur moyen de le mettre en scène. Ici le produit se révèle complètement à moi. Dans ces conditions, je l’ai déjà servi avec un pigeonneau simplement rôti avec du panais. Grâce à cela j’arrivais à un aboutissement de chaud-froid. J’essaye de mettre en œuvre autant de techniques que possible et de réaliser de expériences. Il s’agit d’une quête où l’on n’arrête pas de tomber et de se relever. Du fait que je ne provienne pas du secteur,  je me sens libéré de pas mal d’entraves vis-à-vis de celui-ci.”

Y a-t-il des personnalités qui vous inspirent ?

David Schulz : “Lorsque j’ai vu pour la première fois le livre de Ferran Adria sur le El Bulli, je suis tombé de ma chaise. Je trouvais tout cela si étrange, presqu’extra-terrestre. Jusqu’où peut-on aller avec un produit et à partir de quel moment dépasse-t-on les limites? Il révolutionnait tout d’une manière que nous n’avions jamais vue.  C’est à comparer avec la théorie de la relativité d’Einstein. Chez René Redzepi du Noma, la cuisine retourne au naturel et au local. Il met en oeuvre beaucoup de matériaux brut mais pour moi, ce n’est pas encore assez. Ce qu’Adria et Redzepi  font est à mes yeux passionnant mais je ne veux pas en arriver aussi loin que de servir, par exemple, des fourmis. Il s’agit d’une sorte de truc qui ne fonctionne pas avec notre bagage culturel, avec notre positionnement géographique. Je ne désire pas choquer. Je veux créer des préparations accessibles mais très épurées et établir un climax comme au sein d’une symphonie. Je me propose d’apporter de la logique et de la structure, afin de rendre l’ensemble intéressant. Ainsi des préparations traditionnelles prennent un autre timbre au sein duquel un parfum, une sensation, un souvenir ou une rencontre constituent le fil rouge. Les nouvelles techniques et perspectives apportent parfois la manière d’amplifier les accents, en jouant encore mieux avec les textures ou les saveurs.”

Comment une préparation évolue-t-elle?

David Schulz : “Prenez par exemple les algues. J’ai débuté par une salade d’algues de homard qui, a évolué vers un plat où les algues, le topinambour le corail de Saint-Jacques, le cresson de fontaine et la noisette se sont associés. On parvient à y retrouver des saveurs marines sans mettre de poisson en œuvre. De la même manière, avec un plat de viande dans lequel aucune viande n’intervient, comme cette préparation de salsifis que j’étuve doucement. J’y ajoute des cèpes. Ensuite, je confectionne une crème se salsifis que je congèle et que je râpe pour former neige. Ceci a le goût du foie d’oie. Mais ce n’est pas du foie d’oie. Cela déstabilise les clients végétariens mais c’est ainsi que l’on sucite la réflexion sur une préparation”

En 2016 vous avez été reconnu par le Gault Millau vert de l’époque comme « meilleur restaurant de légumes de Flandre ». Vous avez toujours accordé de l’importance au végétal dans vos préparations ?

David Schulz : “Cet intérêt a toujours été important et cela dès que nous avons commencé avec le restaurant. Je ne disposais pas encore à l’époque d’un potager comme aujourd’hui mais tout ce qui était végétal était présent depuis le départ. Nous travaillions à l’époque avec des herbes, des racines, et des fleurs de la région. J’ai alors créé un plat qui se trouve toujours aujourd’hui à la carte au printemps : herbes et fleurs du moment avec un sorbet de roquette. On peut vraiment parler de « moment » car une heure avant le service, j’enfourche mon vélo pour aller cueillir les herbes et les fleurs afin de les travailler « à la minute ». “

D’où proviennent vos légumes aujourd’hui ?

David Schulz : Nous cultivons environ la moitié d’entre-eux nous-mêmes, le reste provient de producteurs locaux avec lesquels nous coopérons. Il s’agit de professionnels dont nous connaissons l’histoire et le mode de fonctionnement. Ce qui prime pour nous, c’est le goût des légumes. Et durant la croissance de ceux-ci, il ne peut rien s’être passé de préoccupant. Lorsque j’achète un topinambour et que je veux confectionner un bouillon avec les épluchures de celui-ci, cela doit pouvoir se faire.  Voilà pourquoi je privilégie toujours les légumes cultivés biologiquement même si la chose n’est pas toujours possible. Nous cultivons nos tomates nous-mêmes. La récolte est suffisante pour un petit restaurant comme le nôtre. Par ailleurs, nous n’allons jamais acheter des herbes à l’extérieur, sauf en hiver.”

Quelles sont vos préparations de légumes préférées ?

David Schulz : “Je suis constamment en train d’expérimenter des techniques de cuisson existantes mais aussi expérimentales et je veux aller de  plus en plus en pIus loin et de plus en plus en profondeur. Je regarde un légume dans sa globalité et je m’interroge sur ce que je peux en faire. Par exemple, en ce qui concerne le topinambour, je n’en utilise pas seulement le fruit mais aussi la peau et la fleur. Je redonne de l’importance à la livèche, une herbe qui a un peu disparu de la cuisine contemporaine, en la mettant en avant au printemps. Elle procure de jolis jets dotés d’une aromaticité très fine. Je l’emploie dans une préparation de livèche au céleri vert et à la pomme. Ceci est devenu un classique du restaurant.”

L’année dernière, vous avez doublé la surface du restaurant et vous également installé une nouvelle cuisine ?

David Schulz : “Après la reconnaissance du Gault Millau et les bons commentaires de Michelin, nous avons vécu une forte évolution. Nous avons agrandi notre logis de 1900 avec la maison adjacente. Mais un doublement d’espace ne signifie pas un doublement du nombre de couverts. Nous sommes passés de 16 à seulement 20 places, afin de procurer plus d’espace et d’intimité. Les deux bâtiments ont également subi une transformation qui a fait de ce qui ressemblait à un espace d’habitation privée un ensemble architectural net et épuré.  Reposant, sobre et néanmoins chaleureux. Et, conformément à l’enseigne, encore plus axé sur les sens. Ainsi, à côté du gustatif et de l’olfactif, nous avons accordé plus d’importance au visuel et au tactile. Les vins servis par mon épouse Anna s’inscrivent également dans cette démarche. Il s’agit essentiellement de vins allemands, pour beaucoup importés directement par nous et qui, par la typicité de leur terroir, leur climat frais et leurs caractéristiques propres, répondent parfaitement à une cuisine fraiche et légère. Ils sont complétés par quelques un de nos chouchous en provenance de France et d’Espagne.”

Que signifie à vos yeux une candidature au titre de Mastercook ?

David Schulz : “C’est déjà un grand honneur d’avoir été pressenti comme candidat. Et en plus, pour moi, c’était très inattendu. Lorsque j’ai reçu le coup de téléphone – le 2 avril !- j’ai cru qu’il s’agissait d’un poisson d’avril tardif. Je ne me voyais pas encore faire partie de ce cénacle. Et je me sens encore un peu mal à l’aise à l’idée de faire bientôt partie de cette élite que constituent les Mastercooks.”

Que pensez-vous que les Mastarcooks puissent signifier pour vous ? Et vous pour eux ?  

David Schulz : “Quand on a accompli un parcours comme celui de ma femme, qui est historienne et un comme le mien, ceci a encore plus de sens. Nous avons débuté comme autodidactes mais cela fait un certain temps. Nous avons appris énormément et nous avons encore beaucoup à apprendre. Nous avons le sentiment que la cuisine pour laquelle nous nous battons bénéficie d’un statut supérieur. Le grand public mais aussi la presse professionnelle cherchent des points d’ancrage. Les Mastercooks constituent assurément ceux-ci. De manière amusante, nos clients de la première heure considèrent notre devenir comme logique et coulant de source. A côté de cela, cette candidature représente une responsabilité supplémentaire : la défense et la promotion de la gastronomie belge. Ce qui me fait un plaisir énorme, c’est qu’il existe autant de cuisines différentes que de Mastercooks. Il y a énormément de diversité mais en dessous de celle-ci, ils possèdent tous la même base : l’amour, le professionnalisme et la passion de la gastronomie. »

L’année dernière, vous avez étendu votre affaire. Quels sont les résultats de cette extension ?

David Schulz : “Nous remarquons que le public apprécie très fort nos aménagements. Le focus sur l’assiette s’est encore affiné. Avant les travaux, nous recevions souvent la réaction que le contraste entre le décor et ce que les gens recevaient dans leur verre et dans leur assiette était parfois très choquant. Résultat, combiné avec des articles très positifs dans la presse spécialisée, nous constatons que l’intérêt d’un public plus attiré par le cadre que par l’assiette n’est plus autant important.”

Comme évolue votre cuisine ? Quels en sont les nouveaux accents ?  

David Schulz: “J’étais et je resterai clairement toujours un électron libre. Notre fil rouge est et reste de développer et de présenter une cuisine créative, pleine de saveur et évolutive. Les nouveaux aménagements nous donnent de l’inspiration,  le lien  avec mon amour pour l’art, la littérature et l’expérimentation se renforce. Je me sens parfois comme un artiste dans son atelier, un endroit où je peux faire et faire faire ce que je désire. En un mot :  être libre et m’amuser !”